Janvier 2010 / Juin 2020 Les arts visuels et l'information
Je ne suis pas journaliste, je suis animateur à CKRL mf (de 2002 à 2010), une des radios communautaires de Québec. À CKRL mf comme à CIBL, à CKIA ou à Radio Ville-Marie, on nous appelle producteurs, c'est à dire que nous assumons, le plus souvent seuls, la recherche, la réalisation, l'animation, le choix musical et la mise en ondes de nos émissions. Pour ma part, j'ai de la chance, car je co-anime avec mon collègue Jean-Pierre Guay (qui est aussi le réalisateur), et mes collègues Jacques Gignac et Marc Beaudet (à la technique) l'émission d'information hebdomadaire L'Aérospatial, d'une durée de 2 heures, les mercredis de 14h à 16h. L'émission est 100% dédiée aux arts visuels. (L'émission est toujours en ondes en 2020 avec d'autres producteurs.) Nous avons aussi six collaborateurs, qui contribuent à tour de rôle à l'émission : Claude Chevalot, Catherine-Ève Gadoury, Julie Gagné, François G. Couillard, Pierre Girard et Chaher Mohamed Saïd Omar. Tous bénévoles, nous accumulons ensemble une soixantaine d'heures de travail par semaine, uniquement pour cette émission qui est, à ce qu'on sache, la seule du genre au Canada. La durée de nos entrevues se situe entre 7 et 30 minutes. En bonne part, j'estime cependant que l'interview type doit durer autour de 12 minutes, courte pause musicale incluse, la plupart du temps en direct de nos studios, ou par téléphone. Au besoin, nous enregistrons aussi des entrevues sur les lieux d'exposition, musées, galeries, centres d'artistes, ateliers, etc. Nous avons interviewé Fernando Botero, artiste célèbre dont la cote est probablement la plus élevée pour un artiste vivant, mais avec le même plaisir et le même intérêt nous avons aussi invité Julie Savard, jeune sculpteure de Québec dans la vingtaine, car notre mission est de donner la parole aux créateurs en arts visuels quels qu'ils soient, et nous estimons que les artistes visuels sont les artistes les moins représentés dans les médias. Des amis étrangers, consultant la liste de nos 306 entretiens radiophoniques archivés sur (richardstemarie.net/radiomemoire.org/index.html) me faisaient remarquer récemment que très peu d'artistes interviewés leur étaient connus. Cela n'est pas surprenant, ils sont également peu ou pas connus du public québécois. Il faut, à cet égard, rappeler ici la mission communautaire et locale de CKRL. En un mot, si les artistes que nous interrogeons sont inconnus des étrangers et méconnus des Québécois, ce sont justement ces artistes là qui font, ici, l'art d'aujourd'hui. De là l'importance, sinon la nécessité de notre travail à CKRL. (De toutes façons, Rodin et Alfred Pellan ne sont pas disponibles pour des entrevues.) Si, de plus, notre émission est écoutée en direct sur Internet, ou en reprise sur richardstemarie.net/radiomemoire.org, nous sommes heureux de démontrer que non, Québec c'est pas un village, selon le titre d'une autre émission de CKRL. À moins, bien sûr, qu'on veuille parler de l'espace qu'occupe Québec dans le village global. Je laisse le soin à d'autres de calculer le temps de présence des artistes en arts visuels à la radio commerciale sur une période d'un an; je suppose qu'il doit être près de zéro. Je serais aussi surpris de compter plus de vingt ou trente interviews d'artistes en arts visuels à la radio et à la télévision de la Société Radio-Canada sur la même période. Mais, encore une fois, je ne suis pas journaliste et je n'ai pas l'habileté professionnelle pour faire enquête sur le sujet. À la télévision, c'est le plus souvent à la chroniqueuse arts et spectacles que l'on demandera de faire aussi la météo (la plupart du temps, sur les réseaux, ce sont des femmes qui donnent la météo. Peut-être les directeurs de l'information ont-ils intuitivement conclu que les femmes étaient plus habiles que les mâles pour annoncer les mauvaises nouvelles). Il ne viendrait jamais à l'esprit d'un de ces directeurs de l'information de confier le bulletin météo au chroniqueur judiciaire ou à l'analyste boursier. Cela va de soi : on engage d'abord la jeune recrue à la météo, elle passe ensuite aux arts et spectacles (en gardant la météo), puis elle gradue (éventuellement) à la vraie information : la sérieuse, c'est à dire celle qui s'occupe des nouvelles locales et régionales, économiques, judiciaires ou sportives. Les accidents de voiture, les incendies, les batailles au hockey junior. « Les arts plastiques ? c'est platte ! » disait un réalisateur connu de la SRC. « La peinture ? Mais c'est pas radiophonique! » m'a déjà annoncé une animatrice de radio. Mais le parfum et les crèmes de jour sont éminemment radiophoniques, puisqu'on en faisait une chronique hebdomadaire ou presque à Indicatif présent, avec Marie-France Bazzo, dans le temps, ou à Christiane Charette, maintenant (on le fait souvent encore de nos jours...) De même le vin, rouge, rosé ou blanc dont la couleur se voit très bien à la radio. Qui se sent aussi bien, et qui se goûte virtuellement. À votre santé ! Le cinéma passe aussi très bien à la radio, les effets spéciaux surtout, il va sans dire… Mais la peinture n 'est pas radiophonique. Quand on parle d'accès à l'information, on conçoit généralement la possibilité ou le droit, pour le public, de recevoir cette information. Je vois les choses par l'autre bout du micro. Je connais assez bien le monde des arts visuels pour avoir enseigné plus de 30 ans à l'École des arts visuels de l'Université Laval et après avoir exposé 72 fois, en solo ou en collectif, tant ici qu'à l'étranger. Je dois admettre que pour les artistes en arts visuels, c'est à dire pour les premiers producteurs de la culture dans ce domaine, l'accès aux médias est un problème insurmontable, étant donné le désintérêt des médias écrits ou parlés pour les arts visuels. Mon collègue Jean-Pierre Guay et moi recevons de nombreux courriels à chaque jour annonçant expositions, conférences, rencontres et autres manifestations en arts visuels. Certaines fins de semaines, il y a entre sept et douze vernissages à Québec, sans compter toutes les expositions qui continuent dans des dizaines de galeries, musées et centres d'artistes. Nous acheminons autant que nous le pouvons l'information sur ces événements à notre émission. Mais dans les journaux et dans les autres médias nous n'en trouvons que peu de traces. Pourtant, on nous annonce, dans les mêmes pages de ces médias, que, dans la région de Québec/Chaudière-Appalaches, la culture génère des retombées de deux milliards et quelques millions annuellement. C'est sans doute là la démonstration de la pyramide inversée dont parle l'Unesco : dans l'industrie du diamant, ce sont les mineurs qui sont les plus pauvres et dont on ne veut rien savoir. En octobre 2008, je publiais mon premier roman, Un ménage rouge, chez Stanké (5 autres ont suivi depuis chez Alire). Trente jours plus tard, la couverture médiatique de cette parution dépassait largement la couverture de trente ans de mon travail en art visuel. C'est 360 fois plus. La seule fois où, à titre d'artiste en art visuel, j'ai fait la première page du cahier des arts du Soleil, édition du dimanche, c'est quand j'ai publié une plaquette de 32 pages intitulée 'Y a trop d'artistes, les œuvres d'art sont trop chères mais c'est pas grave parce que tout l'monde s'en fout. C'était l'écrivain caustique réfléchissant sur la situation sociale et économique de l'artiste qui avait alors intéressé la journaliste, pas l'estampier ni le dessinateur que j'étais d'abord et avant tout. Que penser de cela ? Que l'industrie de la littérature, du cinéma, de la musique et du monde du spectacle en général sont bien intégrés aux différents organes de communications commerciaux et publics. Réciproquement, les médias ont visiblement une structure capable d'intégrer toutes ces manifestations culturelles et ils ont créé depuis longtemps, dans plusieurs cas de façon quotidienne, des formules qui fidélisent leur clientèle (la page arts et spectacles du quotidien, le bulletin arts et spectacles à la télévision, etc.) Il faut dire aussi que l'industrie culturelle est un des commanditaires de ces médias. Ce qui n'est pas le cas des arts visuels. On répugne même, dans les milieux branchés, à parler de l'industrie des arts visuels. Peut-être qu'elle n'existe tout simplement pas, à part pour les très grandes valeurs historiques et spéculatives et que, dans cette entreprise, seule existe vraiment la très grande, peu ou pas la petite ni la moyenne. L'artiste en arts visuels lui même vient à peine de se convaincre qu'il était, au mieux, un travailleur autonome. De là à se considérer comme un entrepreneur, il y a un pas apparemment infranchissable. La peur de perdre son âme et la saleté de l'argent en étant deux des causes probables. Je le sais, pour en avoir interviewé des centaines, que les artistes en arts visuels n'ont à peu près pas de plan de communications. Pas d'agents, pour la plupart. Certains sont représentés par des galeries. Les galeries commerciales et les centres d'artistes commencent à recourir à autre chose que les cartons d'invitations traditionnels complètement dépassés à l'ère d'Internet pour communiquer avec le public et faire connaître leurs activités. Quelques rares font affaire avec des agences de communications. Il y a de l'espoir. Du côté des médias, la paresse et le manque de formation artistique des journalistes freine encore le développement de l'information provenant du domaine des arts visuels. Pour ma part, j'ai toujours trouvé admirable (pour ne pas dire curieux), que les chroniqueurs arts et spectacles soient si compétents (en plus de faire la météo). En effet, plusieurs peuvent indifféremment interviewer, dans la même semaine, un chanteur rock; une danseuse classique; un metteur en scène d'avant-garde; un écrivain célèbre; une ex-lofteuse; un humoriste ou un magicien de passage. Pourquoi est-ce si difficile d'ajouter un peintre, une sculpteure ou un graveur à leur brochette ? Pourquoi, parmi les cinq ou six recherchistes très compétents attachés à toutes les émissions d'information de la SRC ne retrouve-t-on pas quelqu'un avec un minimum de formation en arts visuels (les universités québécoises en forment des dizaines chaque année) qui pourrait souffler quelques questions pertinentes à l'animateur, question de le soulager de sa peur d'affronter des artistes en arts visuels ? Évidemment, il n'y aura pas de problème pour l'intervieweur si l'artiste peintre s'appelle Diane Dufresne, Clémence Desrochers ou André Montmorency. Au pire, en cas de panne d'inspiration, le journaliste pourra retomber sur ses pattes… dans l'autre domaine que pratique son invité. Tout récemment (en 2009), lors d'une conférence de presse, je rencontrais au Musée de la Civilisation un journaliste spécialisé en musique depuis des années (lui-même possède une formation de musicien) que son journal avait dépêché pour couvrir une exposition-réflexion sur la pensée. Ce journaliste semblait curieux et intelligent (bien que visiblement mal à l'aise dans les circonstances), nul doute que la couverture qu'il a fait de l'événement a été professionnelle, après tout c'est un journaliste de profession. Mais, quand même, les lecteurs du journal avaient selon moi le droit à un avis plus éclairé, allant au delà de la lecture des communiqués de presse de l'institution. La direction du journal pense autrement. Je suppose que, pour des raisons syndicales ou de gestion du personnel, l'on verra bientôt le chroniqueur judiciaire faire un compte-rendu d'un concert des Violons du Roy et l'analyste boursier s'aventurer à la critique du dernier spectacle du Cirque du Soleil. Navrant. Richard Ste-Marie |
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