STIGMATES, la toute nouvelle enquête de Francis Pagliaro, est en librairie depuis le jeudi 16 septembre 2021 et nous en profitons, pour vous présenter des extraits d'une entrevue réalisée avec Richard Ste-Marie, créateur de ce policier philosophe...

ALIRE : STIGMATES est-il votre roman le plus sombre?

RICHARD STE-MARIE : Je ne pense pas. De ton fils charmant et clarinettiste est pas mal glauque. Le côté sombre de Stigmates vient du fait que les crimes sont plus violents, plus « graphiques » comme on dit maintenant ; peut-être que l’attitude de Pagliaro y est aussi pour quelque chose. Il est plus pessimiste que ce à quoi il nous a habitués. On dit souvent que mes romans présentent un policier atypique. Dans Stigmates, Pagliaro prend un peu une attitude que l’on voit dans les romans policiers conventionnels. On le voit boire plus souvent, il est morose et plus caustique vis-à-vis du travail de police et de la hiérarchie policière que dans ses autres enquêtes. On m’a déjà dit qu’il était trop parfait, alors…

ALIRE : Plusieurs de vos romans portent sur l’idée qu’il n’y a pas pire prison que celle que l’on se fabrique soi-même. Pourquoi ce thème est-il si important pour vous?

RICHARD STE-MARIE : J’aurais voulu être un artiste… Combien de fois ai-je entendu ça, à part dans la chanson. J’aurais aimé être médecin, policier… Vous avez sûrement entendu la même chose autour de vous. Les gens exercent souvent des métiers qu’ils n’aiment pas particulièrement pendant des années au lieu de prendre ces années pour apprendre et faire ce qu’ils aimeraient faire. Que désirent-ils, finalement ? Plusieurs ne le savent pas vraiment. On accuse la vie, la société, la famille, la mauvaise fortune, alors qu’ en fait nous n’avons pas le courage de nos désirs.

ALIRE : Quand on cherche avec une idée en tête, on ne voit pas tout ce qui nous échappe. Cette idée revient souvent dans Stigmates. Pourquoi cette insistance?

RICHARD STE-MARIE : L’enquête porte sur des événements qui se déroulent entre 1994 et 2015. Elle fait appel à la mémoire des protagonistes et des témoins. Or, la mémoire est une construction. Une fabrication. On choisit (volontairement ou non) ce qu’on veut garder en mémoire et on se fabrique des souvenirs qui finissent par évoluer dans le temps. En revisitant notre passé, on devient révisionniste de notre propre vie. C’est un bon terreau pour planter une histoire.

ALIRE : Dans Stigmates, il y a un enfant et un adulte témoins, tous les deux, de crimes horribles. Quelles seraient les plus grosses différences entre la réaction d’un enfant et celle d’un adulte face à de tels crimes ? Qu’est-ce qui rend l’interrogation d’un jeune témoin si délicate?

RICHARD STE-MARIE : Il faut lire Recueillir la parole de l’enfant témoin ou victime, de la psychologue Mireille Cyr, pour comprendre à quel point l’interrogatoire d’enfants est délicat.

Contrairement à l’adulte qui veut cacher ou travestir la vérité, l’enfant cherche à plaire à l’interrogateur. Il est convaincu que les grandes personnes ont la réponse qu’il faut trouver pour leur faire plaisir. En outre, il ne comprend pas toujours ce qu’il a vu ou subi. On m’a déjà raconté que quand un enfant est attaqué par un adulte, il a tendance à s’accrocher à l’agresseur, ce qui explique les coups portés dans son dos, contrairement à la victime adulte qui va reculer ou se défendre. Pourrait-on appliquer le même comportement dans le cas des souvenirs de l’enfant victime ou témoin ? Avec les enfants, il faut poser des questions ouvertes en évitant les questions suggestives qui ouvrent la porte à l’invention.


ALIRE : On sent que Pagliaro est en fin de carrière. Son intérêt pour la philosophie, son amour de la musique et des arts parvenaient à le nourrir auparavant. Pourquoi l’amenez-vous dans une phase où la désillusion prend le dessus?

RICHARD STE-MARIE : Parce qu’après plus de vingt ans de police, un travail sans cesse à recommencer, Pagliaro est devenu plus lucide que jamais. Il se moque souvent de lui-même, faisant référence à Sisyphe.

ALIRE : Il évolue et vieillit au fil de vos romans. En quoi serait-il différent par rapport à ses débuts?

RICHARD STE-MARIE : Dans mes livres, la première enquête de Pagliaro se passe en 2002 (Un ménage rouge), sa dernière, en 2015 (Stigmates). Treize ans d’écart. Mais le personnage de Pagliaro a été écrit sur une période de neuf ans, entre 2012 et 2021. Quand on invente un personnage, on ne le connaît pas. On le fabrique au fur et à mesure des livres qui se suivent. Pagliaro est plus cultivé en 2015 parce que j’ai eu le temps (et le désir), en neuf ans, d’ajouter quelques couches au personnage. En musique et en philosophie, dans sa façon de comprendre les gens. Cependant, je ne pense pas qu’il ait changé fondamentalement. Dans Stigmates, il est sans doute un peu désenchanté, mais il demeure le Pagliaro droit et plus porté sur la psychologie que la brutalité policière.

ALIRE : Il n’y a pas de sens sans construction. Pagliaro cherche toujours de nouveaux fils conducteurs, c’est au cœur de sa démarche. Comment résonne une telle phrase, pour un romancier?

RICHARD STE-MARIE : Si le personnage cherche de nouveaux fils conducteurs, c’est que l’auteur veut créer des pistes, vraies et fausses, pour égarer et/ou conduire le lecteur. J’ai toujours pensé que la vie n’avait pas de sens, c’est nous qui lui en donnons un. Cela s’applique dans la création artistique, il y a un sens quand l’artiste prend des décisions, quand il impose un ordre, une structure : la sienne. On dit : le monde de Mozart, le monde de Stephen King… Depuis quelques années, j’essaie de créer des rapports entre tous mes livres et mes nouvelles. Comme pour modestement consolider la construction de mon monde.

ALIRE : En quoi les cours en philosophie de Pagliaro influencent-ils sa pratique de policier?

RICHARD STE-MARIE : J’avais imaginé, en créant le personnage de Francis Pagliaro, qu’un policier philosophe et mélomane serait rafraîchissant par rapport aux policiers conventionnels de la littérature du genre. Dans les situations auxquelles j’expose Pagliaro, j’essaie de lui trouver une réflexion qui pourrait offrir un angle inédit. Je ne crois pas que les vrais policiers se réfèrent dans leur pratique à Schopenhauer, à Nietzsche ou à Kant. Moi je le peux. Nous sommes en pleine fiction, ne l’oublions pas.