Richard Ste-Marie

Entrevue maison
(Gabriel Sauvé, Alire)




Parlez-nous un peu du processus d’écriture
de votre roman. Ça a été plus complexe
à assembler cette fois, non ?

Je travaille sans plan, d’où la difficulté de construire une histoire qui se tient sur trois cents et quelques pages. Mais, après cinq romans et une douzaine de nouvelles publiées, j’ai constaté que j’avais créé sans préméditation des petits mondes distincts qui, à y regarder de plus près, pourraient former un ensemble logique pour peu que je consolide les liens entre ces parties. Autrement dit, ces histoires séparées se recoupaient de manière naturelle sans faire trop d’acrobaties dans le temps; il s’agissait de les réunir et de m’en inspirer pour inventer une plus grande histoire où cohabiteraient la plupart de mes personnages récurrents. J’ai souvent dit que les nouvelles étaient une sorte de laboratoire d’écriture. C’est bien vrai. Le plus difficile a été d’adapter le ton original d’écriture de chacune de ces aventures à celui de l’histoire finale qui les unifiait.

 





Le ton justement beaucoup plus
agressif est à mille lieues du charme, de la sensibilité et de l’humanité pour les criminels auxquels vous nous avez habitués avec votre sergent-détective Pagliaro, vous étiez tanné de mettre en scène un « simple bon gars »?

Non. J’avais en tête une ambiance glauque et j’avais envie d’un personnage qui se démène tout seul avec une douleur qu’il ne s’explique pas.
J’imaginais en outre un être médiocre, finalement, un ex-délinquant, policier à l’éthique élastique, à l’humour cynique (il l’avoue lui-même) et au langage cru. Encore un peu et je lui aurais inventé une vie d’alcoolo, de drogué ou de mauvais coucheur comme celle de nombreux policiers de romans noirs. Mais je ne suis pas tombé dans ce panneau. Vous comprendrez tout de même que l’auguste Francis Pagliaro n’avait pas sa place dans ce récit sombre et ténébreux. Je suppose qu’il était en vacances, et moi aussi.
Mon roman m’a permis d’explorer d’autres facettes de la psychologie des personnages, une autre palette de sentiments. Mais je pense que c’est surtout ma manière de raconter l’histoire qui a changé. Elle est moins lisse quand dans mes autres romans.
Curieusement, Marcel Banville, ce personnage hors de mes sentiers battus a fini par me séduire, et d’après les quelques feed-back que j’ai reçus autour de moi, on ne réussit pas à le détester.

 




Le roman fait souvent référence à un espace aux frontières de la criminalité, une espèce de zone grise où se côtoient des spectres, un tampon à la fois inquiétant, mais d’une certaine humanité sauvage. À la réflexion, ce thème traverse vos romans depuis le début. Le flou entre les bons et les mauvais. Ça vous fascine?Vous y cherchez une réponse à quelque chose de précis?

Quand j’étais adolescent, je voulais devenir psychiatre. Dans ma jeunesse, je me suis intéressé à Freud, à Jung, à Ferenczi, à Mélanie Klein. Plus tard à Françoise Dolto, Edward Hall, Laborit. Vous voyez un peu. Mais, je suis devenu artiste, ce qui n’est pas plus mal. Je suppose que mes lectures de jeunesse ont déteint sur moi.
Plus tard, quand j’ai été artiste en arts visuels, j’ai fait pendant des années de grands dessins qui me montraient dans des attitudes et des postures dérangeantes, en situation volontairement vulnérable et peu glorieuse. Fragile. C’est l’âme humaine qui m’intéressait. Et c’est ce que j’aime toujours. J’aime les gens et ce qui leur arrive : amour, plaisir, bonheur, misère, violence, folie. Comme mon personnage principal, je ne trouve pas que le monde est noir ou blanc. La vie n’est pas sombre, rose ou dorée. C’est beaucoup plus nuancé que ça et, en observant le monde autour de moi, je me surprends toujours de l’humanité de certains méchants et de la cruauté des bien-pensants. Maintenant c’est dans des histoires que j’explore mon intérêt pour les autres. Il est vrai, cependant, que dans ce dernier livre, tous les personnages sont délinquants sinon carrément méchants, sauf les femmes. Il faudrait que j’y réfléchisse…  ;-)

 


Le roman établit un lien avec l’univers des nouvelles que vous avez publiées dans la revue Alibis, les quartiers durs de la ville de Québec, avec sa faune particulière, ses drames du quotidien et les lourds secrets insoupçonnés qui hantent ceux qui les portent. C’est un univers que vous aviez envie de revisiter? Il y a là une certaine forme d’hommage, non ?

Un hommage ? Certainement.
Je suis né à Limoilou. J’ai vécu dans le quartier latin, dans le quartier Montcalm, à Sainte-Foy, à Sillery, à Beauport et à Charlesbourg. J’aime Québec. En écrivant les pages de mon histoire, j’ai revu mon enfance et mon adolescence. Certains personnages (fictifs et n’ayant aucune ressemblance avec des personnes vivantes ou ayant vécu, comme on dit) vivent des moments bons et mauvais dont j’ai quand même été témoin dans ma jeunesse à Limoilou. L’imagination est peut-être la folle du logis, mais l’écriture est la canaille qui lui tient compagnie. Les écrivains sont des voleurs et des menteurs.

 






Justement, vous faites référence à une  necdote particulière concernant des traces de pas dans la neige qui mènent au fleuve sans en revenir. C’est un de ces cas de vols non ?

L’histoire des traces de pas dans la neige me vient de mon ami Jean-Pierre Guay qui, un soir, avait suivi ces pas dans le stationnement du Vieux-port, en attendant que débute une conférence au Musée de la civilisation. Les traces frêles menaient au fleuve. Aller. Sans retour. Une jeune fille avait abandonné son sac à dos au bord du quai et avait disparu. Quelques mois plus tard, la police annonçait à Jean-Pierre que le corps de la jeune fille avait été retrouvé sur une plage du Bic.
Dans l’Inaveu, le récit du garçon qui découvre son petit frère mort gelé sur la table de la cuisine est authentique. Il m’a été rapporté par un autre ami il y a plus de cinquante ans.
C’est vrai, les écrivains sont des voleurs et des menteurs. Je pique des conversations, des faits vécus, des anecdotes et je les mets en scène dans mes histoires. Si vous enlevez ce qui est vrai dans mes livres, il ne reste pas grand-chose. Je suis moi-même de plus en plus présent dans mes récits, à travers certains personnages, plusieurs à la fois. Ainsi, la conversation de Marcel et de sa mère sur le balcon dans le bruissement des feuilles de peupliers faux-trembles est absolument authentique. Restez calme, cependant, ma mère à moi ne s’est pas suicidée en 1978, contrairement au personnage du livre, elle est morte du cancer en 1966.

 


La musique est encore présente (bien que plus subtilement que dans Le Blues des sacrifiés). Quelle image évoque le titre pour vous ? (Ce fils pas forcément mauvais, mais un peu amer d’avoir déçu sa mère ou est-ce un peu lui-même, et la clarinette, un instrument assez symbolique pour lui)

J’ai étudié la clarinette au Conservatoire de musique de Québec de 1956 à 1960. J’ai gagné ma vie (et payé mes études aux beaux-arts) en jouant du saxophone dans des bars et des salles de danse partout au Québec de 1963 à 1971. J’ai joué avec la Fanfafonie de 1980 à 1984, année où j’ai participé à la première tournée du Cirque du Soleil. J’ai animé des émissions à CKRL pendant quatre ans dans lesquelles la musique que j’aime prenait beaucoup de place. C’est dire comme la musique est présente dans ma vie. Je n’en joue plus, mais j’en écoute maintenant.
Le titre est aussi historique que le reste de mes inventions. Il vient d’une carte de souhaits adressée à ma mère quand j’avais dix ou onze ans. J’avais signé De ton fils charmant et clarinettiste, ce qui était vrai à l’époque…

 



Le clergé catholique en prend pour son rhume. Les Québécois ont un rapport particulier avec l’Église depuis les années 60, entre autres choses à cause des abus et des injustices commises par certains de ces membres. C’était pour vous une façon
de prendre position ? Un sujet qui vous révolte particulièrement ?
(les scènes sont pas mal trash)

Je suis témoin, comme beaucoup de gens, des malversations du clergé. Des crimes commis envers la jeunesse. Contre l’enfance.
Par ailleurs, j’ai habité en Italie au début des années 80 lors des scandales de la P2 (Propaganda Due), la loge maçonnique fondée l’année de ma naissance, transformée en mouvement clandestin impliqué dans plusieurs affaires criminelles italiennes, dont la faillite de la banque Ambrosiano étroitement liée au Vatican, les assassinats du journaliste Mino Pecorelli et du banquier Roberto Calvi. Croyances et finances ne font pas que rimer.
Des crimes et des abominations, il y en a dans tous les milieux. J’ai exploité le domaine des arts visuels dans Repentir(s). Le monde de la musique dans Le Blues des sacrifiés. Imaginez un peu ce qui se passe dans le monde politique, médical, financier, policier…
Cela dit, je n’ai pas de compte à régler avec l’église et ses représentants. Je n’ai pas été victime d’agression au petit séminaire et mes premiers pas comme artiste ont été guidés par un frère du Sacré-Cœur. Alors…